Par Isabel Cupryn, coordonnatrice, Solutions, Parachute et Valerie Smith, directrice, Solutions, Parachute

Nous avons participé à la Conférence des intervenants de Vision Zéro 2018, qui s’est tenue à Toronto du 28 février au 2 mars. Félicitations au Vision Zero Advocacy Institute, qui a organisé cet événement des plus instructifs, où des spécialistes du secteur public et privé canadien et étranger et de simples citoyens ont pu se rencontrer, se raconter et discuter de l’avenir de Vision Zéro. Au cours des paragraphes qui suivent, nous vous ferons découvrir ce que nous avons appris des nombreuses présentations et conversations enrichissantes qui ont marqué cet événement.    

Sauver des vies, d’abord et avant tout

Les conférenciers et les participants provenaient de toutes les sphères de la société, représentaient un large éventail d’industries et avaient différentes raisons d’avoir Vision Zéro à cœur. Cependant, l’importance de ne jamais perdre de vue l’aspect humain de Vision Zéro a été l’un des fils conducteurs de la Conférence. Les conférenciers ont été nombreux à insister sur le fait que bien que les statistiques soient essentielles à la planification, ce sont les tragédies humaines qui sensibilisent réellement les collectivités au bien-fondé de l’approche Vision Zéro. Deux présentateurs sont venus nous livrer un récit personnel poignant, qui a su ancrer ce message dans une réalité à laquelle il est impossible de demeurer insensible.     

Ils ont perdu un être cher : les voix du changement 

Erika Lefevre a raconté l’histoire bouleversante de son fils de 30 ans, Mathieu, tué à New York par un conducteur de camion alors qu’il était à vélo, et de l’enquête qu’elle a menée pour comprendre ce qui s’était passé, au terme de laquelle elle est devenue une ardente promotrice de la sécurité routière. Sa ténacité et ses efforts ont joué un rôle essentiel dans l’adoption de Vision Zéro par la Ville de New York. Son histoire nous a rappelé que toute personne qui a la cause à cœur peut être un leader Vision Zéro.     

David Stark est venu nous parler de son épouse Erica, fauchée par une conductrice de 33 ans alors qu’elle marchait sur le trottoir. Stark nous a fait partager la détresse vécue par ses trois fils et lui ainsi que sa frustration à l’égard du processus judiciaire. La conductrice s’en est tirée avec une amende de 1 000 $, et les tribunaux ont refusé que les policiers consultent les textos archivés sur son téléphone cellulaire, ce qui aurait pu permettre de voir si la distraction au volant était à l’origine de cet accident. Stark a aussi abordé la question du blâme de la victime, mentionnant qu’on lui a dit que son épouse « aurait dû bouger de là ». Déterminé à éviter un tel cauchemar à d’autres personnes, Stark a cofondé l’organisme Friends and Families for Safe Streets.   

La collaboration et le partage d’information au cœur de la solution 

Pamela Fuselli, vice-présidente, Application des connaissances et relations gouvernementales, a présenté le Réseau Vision Zéro de Parachute, son objectif et ses réalisations, en plus de nous parler de la façon dont elle entrevoyait l’avenir du mouvement pancanadien, qui pourrait bénéficier de l’arrivée d’autres organismes communautaires locaux. Elle a également évoqué sa vision inclusive du transport du futur : « Nous ne voulons pas faire disparaître les voitures. Nous voulons des rues vibrantes, où automobilistes, piétons et cyclistes cohabitent harmonieusement ».   

Les données nous indiquent ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas

Nous avons pu assister à une discussion entre quatre experts sur l’importance de la collecte de données et sur la façon dont elle avait aidé à définir la priorisation et l’évaluation des interventions. Quelle est la principale leçon que nous avons retenue? « De l’argent investi dans la collecte de données est toujours bien dépensé », affirme Charles Chung, PDG de Brisk Synergies. Jamie Stuckless, directrice générale de Share the Road, a expliqué comment les données recueillies par le programme Bicycle Friendly Communities (BFC) pouvaient servir à Vision Zéro et a discuté des besoins et des défis propres à la mise en place de Vision Zéro dans les plus petites collectivités. Conseil d’expert : pour réussir, il faut recueillir et examiner de la rétroaction de manière continue.   

La technologie au service de la loi 

Citant la distraction cognitive causée par les conversations par Bluetooth en exemple, David Stark a émis le souhait que toute forme de distraction au volant soit considérée comme un délit. Son récit fait réfléchir : qu’est-ce qui serait arrivé à la conductrice qui a tué son épouse si la police avait pu accéder à son cellulaire et prouver qu’elle avait été distraite par des messages texte envoyés ou reçus juste avant l’accident fatidique? D’autres commentateurs sont également d’avis qu’en cas d’accident, les policiers devraient avoir accès au cellulaire des conducteurs, non seulement pour examiner les appels, mais aussi les textos.     

Quatre panélistes ont examiné le potentiel et l’importance des technologies dans les cadres de Vision Zéro, de la promotion et de l’utilisation plus efficace des outils existants, comme les appareils de surveillance aux feux rouges, à ce que l’avenir pourrait nous réserver, par exemple la surveillance vidéo et l’application automatisée des limites de vitesse. Les discussions ont généré de nombreuses idées, comme la possibilité pour les assureurs d’offrir des rabais aux conducteurs qui acceptent de donner accès aux messages texte archivés sur leur cellulaire, ce qui pourrait aider à lutter contre la distraction au volant ou à tout le moins faciliter les enquêtes et les poursuites à la suite d’un accident.    

Conduite automatisée et assistée : comment les voitures « verront »-elles la signalisation?

Il est maintenant presque assuré que nous verrons des voitures à conduite assistée et sans conducteur sur nos routes un jour. Ken Smith, chercheur chez 3M, nous a parlé d’un aspect auquel nous n’avions pas encore pensé : comment les voitures autonomes et partiellement autonomes pourront-elles « lire » les indices visuels que nous tenons pour acquis? 3M crée et teste des panneaux de signalisation, des marqueurs de voie et d’autres éléments qui peuvent être vus à la fois par une caméra et par l’œil humain. Parmi les exemples de solutions à l’essai, on trouve les codes à barres infrarouges et les matériaux fluorescents et à contraste élevé, qui permettent de lutter contre l’encombrement visuel.      

Vision Zéro pour les jeunes

Nancy Pullen-Seufert, directrice du National Centre for Safe Routes to School, a présenté une étude de cas portant sur une intersection améliorée près d’une école intermédiaire new-yorkaise où les blessures ont été réduites de 54 %. Elle a cité une étude récente en affirmant que la volonté politique et le soutien de la collectivité sont essentiels à l’amélioration de la sécurité des enfants et à l’adoption de Vision Zéro par une ville. Elle a souligné qu’il faut souvent un événement tragique pour qu’une ville se décide à adhérer à Vision Zéro : un décès fortement médiatisé, une position défavorable dans un classement établi par un organisme national spécialisé en sécurité ou l’interaction d’un politicien avec la famille d’une victime. Idéalement, il ne faudrait pas attendre qu’une tragédie survienne avant de ramener Vision Zéro au cœur des discussions, alors comment trouver une autre façon de mobiliser les politiciens et la collectivité? Les journées << à l’école a pied >> et << à l’école en velo >> sont des moyens efficaces d’inciter les jeunes à prendre les choses en main et à se faire les promoteurs actifs de Vision Zéro auprès des politiciens et de la population de leur collectivité.     

Des approches personnalisées dans les villes canadiennes

Liliana Quintero, ingénieure des transports à la Ville de Vancouver, a décrit la façon dont Vision Zéro a été mis en place dans une structure provinciale-municipale, selon une approche unique. L’humour et les messages positifs, avec des brochures insistant sur l’entraide et le sentiment d’appartenance à la collectivité, ont joué un rôle de premier plan dans l’adhésion de la population.  

Daphné Dethier, ingénieure des transports chez WSP, a raconté comment Montréal s’est donné un mandat Vision Zéro : « Le service de police et la Ville de Montréal travaillaient déjà en étroite collaboration avec des organismes du domaine de la sécurité routière, ce qui a aidé beaucoup. De plus, les organismes de transport, les services de santé publics, l’équipe des communications et d’autres intervenants de la Ville ont mis la main à la pâte. Nous avons également pu vivre une expérience de collaboration internationale. En effet, l’intervention de nos experts suédois dès les premiers pas du projet nous a permis de mettre en place une véritable approche Vision Zéro, et non pas d’implanter une initiative de sécurité routière traditionnelle sous la bannière Vision Zéro. »       

Vision Zéro à l’échelle internationale

Leah Shahum, fondatrice et directrice générale du réseau Vision Zéro aux États-Unis, a présenté les initiatives ascendantes et descendantes qui ont fait de Vision Zéro une réalité dans 40 villes américaines, mentionnant au passage que les regroupements locaux et les organismes sans but lucratif étaient des partenaires clés de cette réussite. Mme Shahum a affirmé qu’une société pouvait devenir une leaderVision Zéro en amenant un changement de culture, même si la législation associée n’est pas encore en place : « L’industrie pourrait prendre des initiatives… et obtiendrait beaucoup d’appuis si elle le faisait ».      

Chelsea Richer, planificatrice principale du transport chez Fehr & Peers, a raconté comment le nombre de décès avait été réduit à zéro à plusieurs intersections à risque de Los Angeles après la mise en place de passages piétonniers omnidirectionnels (scramble intersections).  

La Suédoise Karin Hassner, spécialiste en sécurité routière pour WSP, a expliqué en quoi de petits changements proactifs pouvaient avoir une grande influence dans une approche Vision Zéro. Les ceintures de sécurité peuvent devenir obligatoires dans les autobus. Les employeurs de conducteurs de véhicules commerciaux peuvent installer des antidémarreurs avec éthylomètre, améliorer les horaires, éduquer leurs employés sur la conduite à adopter en cas de mauvais temps et renouveler leur flotte tous les cinq ans en achetant les véhicules les plus sécuritaires sur le marché.      

Inviter les médias à modifier leur langage 

Tout au long de l’événement, les conférenciers et les participants ont indiqué que les représentants des médias devaient changer le vocabulaire utilisé, par exemple en remplaçant le mot « accident » par « collision ». L’animatrice de la conférence, l’ancienne lectrice de nouvelles Carrie Doll, a profité de l’occasion pour exhorter l’assistance à agir à cet égard : « Les médias ne sont pas parfaits ». Elle a raconté qu’un appel d’une infirmière avait suffi pour changer le langage utilisé dans un de ses reportages. « Tout le monde peut appeler un journaliste, a-t-elle déclaré. Et un journaliste responsable vous écoutera. » D’autres participants ont fait part de leur espoir de voir les politiques et les lexiques officiels des différents médias corrigés un jour.       

Du temps investi judicieusement

Beaucoup d’intervenants ont convenu que « de l’argent investi dans la collecte de données est toujours bien dépensé ». Dans le même ordre d’idées, du temps passé à connaître les dernières nouvelles au sujet de Vision Zéro est toujours du temps bien dépensé. Nous continuons d’être énergisées et inspirées par les spécialistes, les promoteurs et les survivants qui travaillent chaque jour à rendre les routes du Canada et du monde plus sûres.